Audrey Noeltner - GLM 2012 - Co-Fondatrice et Chargée de projet de l’ONG Womenability
Parmi les premières diplômées du master Governing the Large Metropolis à l’Ecole urbaine, Audrey a connu plusieurs expériences professionnelles à la fois dans le conseil, l’associatif, jusqu’à ce qu’elle se lance avec d’autres collègues dans l’aventure Womenability. Cette ONG à la croisée du conseil et de la sensibilisation sur le statut des femmes en milieu urbain et sur les discriminations de genre propose des solutions pour une ville équitable pour tous et toutes. In Situ a pu rencontrer Audrey autour d’un café en ce début de mois de décembre, pour nous parler de son parcours et nous présenter le projet Womenability.
La ville, de part et d’autre de l’Atlantique
Franco-Américaine, Audrey a effectué ses études entre le Canada et la rue Saint Guillaume. Elle a d’abord obtenu une licence d’Environnement à l’université de Concordia à Montréal, avec une mineure urbanisme. Cela a confirmé son intérêt ancien pour les problématiques urbaines, qu’elle avait déjà développé à l’occasion des nombreux voyages qu’elle avait pu vivre avec sa famille en grandissant, entre Paris, New York et Los Angeles.
C’est un peu par hasard qu’Audrey a ensuite découvert Sciences Po, une connaissance à Paris lui a parlé de l'École Urbaine. L’année suivante, elle intègre le master GLM, tout juste fondé. Une petite promo, à 19, une ambiance de petite famille. Gabriel Odin, l’un des trois autres co-fondateurs de Womenability fait partie lui-aussi de la promotion. Pendant ces deux ans de formation, Audrey explique qu’elle a pu faire grandir encore son intérêt pour les grandes métropoles, pour l'urbanisme à l’échelle internationale.
De la participation citoyenne au community empowerment
Après six mois de stage à Manille, Audrey a d’abord travaillé comme consultante pour MuseD.Territoires, spécialisée sur les thématiques de participation citoyenne en France et la re-dynamisation des banlieues. Audrey s’est également engagée dans de nombreux projets associatifs sur le même thème, celui de ménager une plus grande inclusion des citoyens dans les politiques publiques et dans la vie collective locale. Elle a aussi co-fondé l’association One, Two, Three…Rap ! dont le but est de promouvoir l’enseignement de l’anglais dans les milieux plus défavorisés. Ce sont donc les problématiques de l’urbanisme social, les problématiques des communautés urbaines au quotidien qui ont occupé Audrey pendant ces premières années professionnelles.
Féminisme et urbanisme
Puis il y eut une expérience personnelle, une prise de conscience et un engagement. Le harcèlement de rue peut prendre de multiples formes, de multiples degrés jusqu’à la violence. Même en rentrant chez soi à vélo à La Courneuve. C’est cette expérience-là qui a été le catalyseur de toutes les expériences passées, une nouvelle réflexion sur le droit à la ville, à se déplacer. Audrey s’est soudain réellement rendue compte que tout le monde n’avait pas le même droit à la ville partout, ni la même liberté d’être et de se déplacer en milieu urbain. Cela s’est combiné à toutes les expériences associatives qu’elle avait eu auparavant : l’absence ou la minorité de femmes présentes dans le processus de community building en banlieue, moins de femmes se déplacent, peu prennent la parole. Il y avait aussi les écarts entre les différentes conditions féminines qu’Audrey avait pu observer en voyageant. Il y avait le sentiment de la nécessité de trouver des solutions à ces problèmes quotidiens des femmes en ville.
Le projet Womenability
Avec Charline Ouarraki, Julien Fernandez et Gabriel Odin, aidés de Leïla N’ciri, une ancienne STU et de Joséphine Hebert, une ancienne de GLM à Sciences Po, ils ont ainsi fondé le projet Womenability en 2015. L’objectif, faire de l’égalité des genres une réalité dans les villes de demain, en passant par la collecte d’informations, la création de nouvelles bases de données sur ce sujet peu documenté, et fournir un index de solutions aux problèmes des femmes en ville. Audrey en est aujourd’hui la présidente, mais c’est une équipe de neuf entrepreneurs sociaux qui se sont lancés dans ce projet novateur. L’association a reçu le soutien et les conseils d’autres associations féministes plus anciennes, Audrey cite notamment les ONG Place à Elles et Genre et Ville avec lesquelles l’équipe a pu collaborer. Womenability se place ainsi à la croisée de nombreuses réflexions personnelles et d’études académiques sur le genre et l’urbain, dans l’optique de trouver des solutions aux problèmes quotidiens des femmes en ville et pour à terme les proposer à appliquer en politiques publiques dans les mairies.
Faire parler le genre autrement
Audrey a alors expliqué que la démarche à Womenability était d’étayer expériences et réflexions personnelles sur les discriminations de genre en ville, recueillies, partagées, vécues, à des études plus larges, qualitative et quantitatives. L’association a ainsi correspondu à un besoin nouveau de création de données sur les faits urbains et les femmes. Au ministère du droit des femmes comme à la Mairie de Paris, au moment de sa création, Womenability était face à une unanime constatation du cruel manque de connaissances, d’informations et de solutions du côté des pouvoirs publiques sur la discrimination genrée de l’espace urbain.
La mission en trois dimensions de Womenability
C’est d’abord une démarche exploratoire, à la fois qualitative et quantitative. Il s’agit de récupérer l’expertise des usagers de la ville eux-mêmes, pour générer de nouvelles bases de données sur les problématiques des femmes en ville, pour identifier les problèmes, distinguer leurs variations entre les différentes villes du monde, en étudier toutes les formes. En s’inspirant du concept de Jane Jacobs « eyes on the street », dont Audrey conseille vivement la lecture, c’est la volonté de créer une ville plus ouverte qui s’affirme avec Womenability, la volonté de faire revenir les femmes dans la rue, pour qu’elles puissent aussi se l’approprier, et se la réapproprier, sans crainte. Pour cela Womenability a effectué son tour du monde des villes, un total de 13 marches urbaines dans autant de villes différentes, organisées en collaboration avec des associations féministes et/ou LGBT locales. 209 personnes ont répondu à son questionnaire, toujours dans cette optique de rassembler des savoirs urbains différents sur la situation des femmes. In fine, les données rassemblées, les solutions, les propositions formulées par Womenability seront envoyées aux associations locales, aux mairies, le partage de connaissance est en effet l’autre face extrêmement importante de l’action de Womenability.
Dans cette même optique Womenability publie les interviews de femmes maires, qui ne représentent qu’entre 10 et 15% des élus aujourd’hui dans le monde. L’association veut ainsi sensibiliser à cette inégalité en retraçant le parcours de ces femmes. Enfin Womenability publie aussi des interviews au public plus large mais tout aussi ciblé : les interviews de bonnes pratiques. Elles mettent en lumière des projets précis, qui fonctionnent et qui peuvent aujourd’hui servir de modèle de politiques publiques en termes d’égalité des genres. Les solutions de mixité dans les skate-parks en Suède, ou les environnements ouverts et mixtes aménagés à Vienne pour la pratique sportive sont des exemples, entre autres, de ces bonnes pratiques.
Le grand conseil de lecture d’Audrey
Jane Jacobs, The Death And Life of Great American Cities