Portrait de Clémentine Tribouillard - Majeure Ville / Gestion Territoriale et Urbaine 2003-04
Au début de l’année 2016, In Situ est parti à la découverte de ses premiers alumni diplomé.es de la « majeure ville ». Nous avons rencontré Clémentine Tribouillard, par skype, promotion 2003-2004. Clémentine s’est envolée vers le Brésil pour un stage auprès de la coopération française ; elle y restera 3 ans et demi comme volontaire internationale. Elle travaillera ensuite pendant 6 ans, à Avignon, pour UrbaConsulting comme chargée de développement pour enfin emménager, en 2012, en Haïti où elle est devenue consultante indépendante et d’où elle intervient dans de nombreux pays.
Un parcours marqué par la mobilité : « En 12 ans, j’ai travaillé sur 20 ou 30 villes »
Au Brésil, après un stage, Clémentine a été volontaire auprès de CAIXA, la Caisse des Dépôts brésilienne en travaillant à la gestion d’un programme d’appui municipal auprès de 12 capitales brésiliennes. Sa mission consistait à convertir des stocks de vieux centres immobiliers dégradés en habitat collectif social. En rentrant en France, elle s’engage pour le développement du cabinet UrbaConsulting, qui vient d’être créé. En charge du développement, notamment pour le volet urbain, elle sera rapidement mobilisée par l’entreprise sœur HydroConseil. Elle se familiarise alors avec les services urbains dans les bidonvilles en Afrique et les questions d’eau et d’assainissement.
Au bout de 5 ans, pour des raisons personnelles et professionnelles, elle part à la découverte de Haïti. Elle y est basée depuis 2012, à son compte depuis 3 ans, avec son conjoint. Le pays est une mine de travail surtout après le séisme. Dans un premier temps, ils confirment leurs expertises sur des missions de logement social tout en cherchant à multiplier les missions d’évaluation « ailleurs : Laos, Djibouti, Madagascar… C’est important de pouvoir se revigorer au contact d’autres projets, de se confronter à de nouveaux contextes et de personnes, surtout pour revenir plus constructifs. ».
De la majeure ville à la découverte des différents terrains et métiers
« C’était avant la réforme des masters. »… A Sciences Po, elle a débuté avec des cours portant sur des problématiques de développement, puis elle lui préfère les métiers de l’urbain et l’administration territoriale. Elle se retrouve avec celles et ceux qui préparent la fonction publique territoriale. Le cours de sociologie urbaine et son scope comparatif européen l’aura particulièrement marqué.
Mais, « je ne suis pas urbaniste ! dit-elle, je suis politologue ou sociologue avec une spécificité sur les questions liées aux collectivités locales. »
A Sciences Po, elle a plutôt appris en méthode que sur les volets techniques. Ce qui se retrouve dans son métier de consultante où « on doit tout réapprendre à chaque fois ». Sa formation l’a préparée à cette gymnastique intellectuelle constante et à gagner du temps sur les lectures préparatoires avant chaque mission. Comprendre la législation locale, l’organigramme des partenaires et surtout visiter la ville à laquelle elle s’intéresse… Sa compréhension des volets institutionnels l’amène, petit à petit, à assumer des fonctions de coordination des acteurs des projets.
Lors de ses premières missions, Clémentine gère plutôt les volets institutionnels et les volets socio-économiques. Pour les premiers, il s’agit de comprendre quelles sont les capacités des partenaires en vue de l’ancrage institutionnel du projet ou d’audits organisationnels. Les seconds sont notamment composées d’enquêtes de terrains, ce qui lui a permis d’apprendre sur le terrain et avec ses collègues, les outils de traitement d’enquêtes, notamment de traitement statistique. Elle en conclut que ce sont des missions très formatrices qui lui permettent aujourd’hui de mieux coordonner les équipes des missions à sa charge.
Aujourd’hui, Clémentine compose des équipes avec des professionnels de différentes spécialités en gardant toujours ce regard sur la capacité d’ancrage et de pérennisation des programmes. Elle remarque le nouvel intérêt pour la société civile et le besoin de formation académique sur l’urbain. A ce sujet, elle confirme que la maîtrise d’un référentiel (le cas français par exemple) permet de se consolider en tant qu’experte auprès des spécialistes d’autres nationalités.
Quatre années en Haïti
Il y a pourtant beaucoup de travail dans le pays, avec des missions engageantes, notamment dans le contexte post-séisme. Or, Haïti s’est transformé dans l’Eldorado des bailleurs de fonds et en plateforme pour expatriés. Il y a une grande mobilité des expatriés, une grande usure des jeunes diplômés et des lubies de bonnes pratiques de certains bailleurs ce qui fragilisent l’ancrage des programmes dans les délais établis. Au bout de 4 ans, se profile la fin d’un cycle et l’envie de changer. D’ailleurs, on bouge tout le temps pour des raisons qui n’étaient pas prévues, dit-elle.
Son parcours est, ici aussi, une progression dans les échelles, du micro « où l’on travaille en pompier » au macro lorsque l’on donne un avis sur la définition des projets. En arrivant, elle a travaillé au niveau des immeubles sur des problématiques d’équilibre économique et social de logement social. Ces missions sont dans un contexte post-séisme, les interventions avaient tardé. Engagée dans un projet de la Banque Interaméricaine de Développement, elle intervient au niveau des lotissements de logement social : stratégies de gestion entre location et vente ; entretien des locaux ; et surtout, la sélection et la remise en mains des baux à 400 familles. Elle se confirme comme experte et est mobilisée par les bailleurs de fonds qui cherchent à améliorer leurs interventions dans le pays.
À l’échelle du quartier, elle s’est intéressée à la question de déplacement de population, intégration des services urbains et formalités municipales. Elle a notamment conseillé le gouvernement d’Haïti pour des programmes de logement ou encore USAID sur des programmes pour l’entreprise publique haïtienne de logement type HLM dans le nord d’Haïti. Sa quatrième mission a visé à installer un modèle type ZAC, pour faciliter les investissements sur le territoire haïtien à travers des stratégies de partenariats publics-privés. Cependant cette méthodologie semble difficile à mettre en place dans la tradition haïtienne, mais elle pondère en rappelant que, comme dans d’autres programmes auxquels elle a participé, il faut du temps –et des erreurs- pour que les projets fassent leur chemin. Elle a ensuite travaillé à l’échelle de la ville, cherchant des stratégies de développement urbain pour enfin intervenir en amont, au niveau de la stratégie d’intervention de la délégation de l’Union Européenne (le 11ème Fond Européen de Développement) en Haïti. Sa mission s'est terminé en juin 2016.
Un dernier mot pour les étudiants et les jeunes diplômés ?
Au fil de la conversation, transpire la motivation de se confronter aux terrains, aux acteurs et de se forger aux fils des expériences : le profil du jeune expert avec des grandes responsabilités ne semble pas la convaincre. « Il y a plein de missions et de travail ; il faut avoir et montrer de l’envie ! ». En dernier conseil, elle confie qu’il faut cultiver son réseau dans la mobilité et faire le plus possible l’expérience de l’international.
Et pour finir, elle conclut avec le recul de son expérience qu’il ne faut pas céder à la panique de la crise : il y a du travail pour tout le monde, même pour les jeunes diplômés !
Sur ses conseils, l’auteur de ce portrait a lu Lyonel Trouillot, auteur haïtien, et vous conseille vivement de découvrir Kannjawou (Actes Sud ; 2016) et Les enfants des héros (Actes Sud 2002).